« l’impression de déclassement ecclésial qu’il y a à vivre le laïcat
comme une vocation. »

Le texte de l’entretien avec Vincent Leclair est téléchargeable en cliquant ici

Vincent Leclair, 62 ans, laïc marié, père de 3 enfants, vivant à Béziers. Instituteur dans l’enseignement public jusqu’en 2019. Aumônier de prison de 2000 à 2015, aumônier général des prisons de 2009 à 2015. Membre d’une EAP (équipe d’animation pastorale) et de l’équipe diocésaine de diaconie-solidarité. Engagé dans deux mouvements de spiritualité. Actif dans le monde associatif local.

1. Dans sa Lettre au Peuple de Dieu, le pape François appelle à une transformation
ecclésiale et sociale qui passe par un refus de toute forme de cléricalisme. Quel lien
faites-vous entre transformation ecclésiale et sociale ?
La transformation est nécessairement ecclésiale et sociale parce qu’elle touche à la vie
interne de l’Eglise et à son rapport à la société. Il me semble indispensable de garder le lien
entre cette transformation et le refus du cléricalisme dont parle le Pape.
Le cléricalisme est une maladie de l’organisation qui tend à confisquer ce qui est à tous au
profit de quelques-uns, à sacraliser une élite et à favoriser un fonctionnement
discriminatoire. Si ce modèle n’est pas vécu aussi durement dans la réalité ecclésiale, il y est
cependant très profondément intériorisé. Je voudrais en donner deux exemples. Voici le
texte d’une Invitation reçue lorsque je travaillais à la CEF : « les évêques en assemblée
plénière dans la maison invitent les prêtres, religieuses, religieux, diacres, salariés et
bénévoles au café dans le jardin » ; c’était une invitation envoyée selon les statuts de
chacun, descendante. Elle aurait pu être adressée aux personnels d’entretien, assistants,
collaborateurs et directeurs de services ; cela aurait été une invitation par fonctions,
ascendante. Mais, surtout, plus simplement, n’aurait-elle pas dû être adressée à tout le
monde sans distinction, invitation fraternelle, évangélique?
Deuxième exemple. Confinés pour Pâques, nous avons suivi en famille la veillée pascale à la
télévision. Au moment de la communion la vingtaine de prêtres présents a communié à
l’autel au même calice, les diacres et séminaristes ont communié ensuite, au fond du choeur,
les deux laïcs qui assuraient l’animation n’ont pas communié. La prescription sanitaire (un
seul, le célébrant, communie) a été détournée en attitude discriminatoire.
Ce schéma s’articule avec une conception étriquée de la vocation, élitiste et sacralisé. Ainsi,
dernièrement, à la messe en semaine, dans un texte de prière pour les vocations, nous avons
rendu grâce pour les vocations d’apôtres, de saints, de prêtres, de religieux et de religieuses
(et, ce fut ajouté au texte, des consacrés). Mais il ne fut question ni des diacres ni des laïcs.
Ici, le cléricalisme distingue les célibataires volontaires et les autres… Qu’advient-il de cette
vision des choses devant le scandale des abus sexuels?
Personnellement, au terme d’un long discernement, j’ai renoncé au diaconat auquel j’étais
appelé, parce que je n’y ai pas reconnu ma vocation. Je ressens chaque jour
l’incompréhension, l’impression de déclassement ecclésial qu’il y a à vivre le laïcat comme
une vocation.
Cette ambiance cléricaliste retentit sur l’image de l’Eglise dans la société. Elle apparaît
comme une institution désuète, un élément du patrimoine, nécessaire pour donner du
lustre. Cet aspect visible et stable semble rassurant dans une société incertaine. Il s’appuie
sur des éléments identitaires, peu évangéliques à mon point de vue (des titres, des habits
cléricaux, des traitements dérogatoires, des rites publics…)
Par ailleurs, l’Eglise se présente comme une experte en surplomb , mettant les autres sous
tutelle. Par exemple, pour accompagner la communication à l’Administration Pénitentiaire
d’un document de l’aumônerie des prisons sur la réinsertion, un évêque avait rédigé un petit
mot indiquant que l’Eglise catholique était prête à accueillir tous ceux qui souhaiteraient
travailler avec elle. La formule a finalement été changée pour dire que l’Eglise était heureuse
de s’engager aux côtés de tous ceux qui agissaient sur ce terrain !
2. Quels domaines ou quelles évolutions vous paraissent prioritaires aujourd’hui ?
Ce qui me semble indispensable pour faire avancer la transformation, c’est, à l’intérieur de
l’institution, de remettre à plat les notions de vocation, de ministère, de sainteté qui
séparent les croyants et d’en renouveler la compréhension en termes d’humilité,
d’ouverture à la miséricorde, de communauté et de fraternité.
Vis-à-vis de l’extérieur, l’Eglise doit vraiment se reconnaitre et se comporter comme une
institution immergée et solidaire de la société, touchée par les mêmes questions, faiblesses
et limites humaines et organisationnelles. En conversation avec le monde … (1)
3. Quel signe ou quelle expérience concrète vous fait dire que cette transformation
est déjà en marche ou en tout cas possible ?
Ce qui me donne espoir, malgré le retour préoccupant de signes distinctifs du cléricalisme,
c’est mon histoire personnelle qui m’a conduit, croyant ordinaire, à exercer une
responsabilité ecclésiale nationale et à la vivre en toute confiance et reconnaissance avec de
nombreux clercs et laïcs, à l’intérieur de l’Eglise et au dehors. Les jeunes générations, aussi,
me donnent de l’espoir. Elles ont souvent une vision bien différente de la mienne que je
peux juger naïve voire rétrograde. Mais elles inventent de nouvelles manières de vivre leur
foi qui déplacent et apaisent le rapport au ministère, à la vocation, à la sainteté. Je le vois en
particulier avec les jeunes laïcs en mission ecclésiale (LEME) de mon diocèse.

 

‘(1) “Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni
par les coutumes… ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et
le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales
de leur manière de vivre… Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des
étrangers domiciliés… Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une
terre étrangère.
De la Lettre à Diognète, n° 5-6 extraits