Contrarié par la Covid 19, mais soutenu par l’enthousiasme des participant(e)s, le Chemin synodal allemand aborde une nouvelle phase1

Le contexte

L’Eglise catholique en Allemagne fut très profondément ébranlée par les scandales des agressions et crimes sexuels commis par des clercs à l’encontre d’enfants et d’adultes et ce dès le début des années 2000. Prenant le « taureau par les cornes », la Conférence des évêques alors présidée par le Cardinal Marx, archevêque de Munich, commanditait en 2013 un rapport d’experts indépendants dit rapport MGH destin à faire une lumière complète sur le sujet et à émettre des recommandations. Sur base de ce rapport finalement rendu public en juillet et tenant compte de l’émotion qu’il suscita , la Conférence des évêques en Allemagne a pris trois décisions majeures : l’instauration d’un dispositif complet de prévention , observation et réparation des agressions sexuelles dans l’Eglise ; la mise en place d’une juridiction administrative interne à l’église propre à sanctionner les manquements dans l’exercice de l’autorité ecclésiale ; le lancement d’un processus de réformes structurelles destiné à construire collectivement l’avenir de l’église allemande sous la forme d’une démarche originale désignée comme Chemin synodal , offrant aux laïcs allemands la possibilité d’un co-pilotage de cette démarche . Ce processus a été ratifié par les laïcs qui sont, en Allemagne, rassemblés de longue date au sein d’un vaste comité fédérateur et représentatif, le Zentral Kommittee der Deutschen Katholiken (ZDK). Le Chemin synodal a effectivement démarré en janvier 2020 et doit s’achever à la fin de 2022. Jérôme Vignon rapporte ici les fruits d’une réunion d’étape de ce Chemin synodal tenue en vision conférence les 4 et 5 février 2021, à laquelle il assistait en tant qu’observateur invité.

Qu’est-ce qu’un chemin synodal ?

Concrètement le Chemin synodal (CS) allemand est une assemblée constituée de 230 membres permanents à parité entre clercs et laïcs de l’église catholique d’Allemagne. Tous les évêques en sont membres d’office ; prêtres, diacres et membres des congrégations religieuses en font également partie aux titres des clercs, désignés par différents collèges assurant leur représentativité. De même les laïcs sont-ils en partie désignés par le Comité central des catholiques allemands (ZdK) et par d’autres organisations de laïcs qui n’en seraient pas membres. Au total, cette assemblée est bien représentative de la diversité des personnes qui se réclament activement de la foi catholique en Allemagne. Le paritarisme de l’organisation clercs et laïcs est assuré formellement par un pilotage conjoint entre la conférence des évêques d’un côté (DBK), le ZDK de l’autre. Ainsi chaque assemblée générale du Chemin est-elle Co présidée par un évêque et un laïc, de fait le plus souvent une laïque. L’assemblée générale du Chemin synodal a tenu sa première réunion plénière en janvier 2020 à Frankfort et devrait tenir l’assemblée de conclusion à la fin de 2022 avec entretemps deux réunions intermédiaires fin 2021 et au premier trimestre 2022.

L’irruption de la pandémie a contraint d’entrée de jeu à modifier le rythme prévu initialement et à organiser des rencontres régionales partielles (en septembre 2020) ainsi qu’une Visio conférence générale les 4 et 5 février derniers. Le caractère strict du règlement intérieur régissant les délibérations et la prise de décision ne fait qu’aucune de ces rencontres n’a eu un caractère décisionnel. En revanche, le temps a été mis à profit pour approfondir l’analyse et la confrontation des points de vue. La Visio conférence « plénière « des 4 et 5 février dont il sera ici rendu compte constitue de ce fait une étape importante : on peut dire qu’elle donne le départ à une étape d’élaboration de propositions qui seront ensuite raffinées au cours des deux années à venir. En ce sens, considérant la longueur du processus et les précautions prises pour assurer la transparence et l’équité des délibérations, on peut dire que l’on se trouve devant une sorte de pèlerinage ecclésial de longue haleine. C’est d’ailleurs au « peuple catholique pèlerin allemand « que le pape François a adressé en juillet 2019 la lettre publique par laquelle il donnait son aval à une démarche que certaines autorités « conservatrices « jugeaient prématurée, voire dangereuse.

La finalité profonde du Chemin synodal

On ne peut comprendre ce processus original du Chemin synodal allemand sans se souvenir de deux éléments de son initiation qu’on ne retrouve dans aucune église catholique ailleurs en Europe :

L’onde de choc des abus sexuels a été non seulement très fortement, mais aussi longuement ressentie par l’ensemble des « forces vives « de l’église en Allemagne. Une succession de rapports depuis le début des années 2000 ont souligné le caractère massif des abus ainsi que le silence qui pouvait les entourer, une dissimulation à laquelle la culture démocratique allemande est très sensible. Le choc a été ressenti d’autant plus durement que de nombreux catholiques exercent des fonctions rémunérées comme auxiliaires de la pastorale et de l’action sociale, en lien direct avec la hiérarchie catholique et s’estimaient de ce fait nolens volens associée à l’opprobre générale. Ce sentiment a été particulièrement vif lors de la publication en 2018 d’un rapport solide et complet2 qui ouvrait en même temps les quatre pistes des réformes structurelles qui constituent l’enjeu même du chemin synodal/.

  1. La distribution des pouvoirs et des responsabilités dans l’Eglise.

  2. L’existence des prêtres demain.

  3. Place des femmes dans les services et les fonctions.

  4. Réussir la vie relationnelle, l’amour dans le couple et la sexualité.

Ce sont les Evêques allemands, inquiets de l’ampleur du désaveu manifesté parmi les fidèles allemands qui ont proposé au ZdK en 2019 de rentrer dans ce processus original, conscients de ce qu’il fallait désormais frapper un grand coup en en proposant un dialogue structuré, sincèrement tourné vers la formulation et la mise en œuvre de réformes effectives. Un mot caractérise l’intention du chemin synodal : la crédibilité, une vertu cardinale dans la culture démocratique allemande. Le nouveau président de la DBK, Monseigneur Bätzing aura cette expression au début de la rencontre le 4 février 2021 : il s’agit pour nous à la fois de restaurer la crédibilité de l’Eglise et la plausibilité de la Foi. Ce raccourci souligne la finalité du Chemin synodal : restaurer la capacité missionnaire de l’église catholique en Allemagne.

L’enjeu de la Conférence en ligne des 4 et 5 février 2021

Structurée en assemblée plénière, en assemblées partielles par thèmes, éventuellement en ateliers par groupes d’une dizaine de participants, la Conférence en ligne des 4 et 5 février était le premier rendez-vous d’ensemble tenu depuis janvier 2020. Il s’agissait de prendre connaissance :

  • Des avancées de la mission confiée à Monseigneur Ackermann, évêque de Trèves, chargé par la DBK de coordonner les dispositions prises à l’échelle des diocèses pour la « clarification et réparation des abus sexuels ».

  • D’ouvrir une discussion sur des problématiques soulevées par les membres du CS et recueillir les réactions de l’AG virtuelle sur les rapports d’étape partiels élaborés par les quatre forums de l’Assemblée générale.

  • De procéder à des auditions autour des 4 rapports de progrès issus des forums thématiques afin de faire confirmer ou préciser la poursuite de leurs travaux en assemblée partielle.

Concrètement, les équipes « paritaires » clercs/laïcs en charge de la rédaction des rapports thématiques se trouvent en mesure d’avancer dans l’élaboration de propositions concrètes (futures résolutions de l’AG), nanties du soutien et des observations recueillies au cours de la Visio conférence. On s’attend donc à ce qu’en septembre 2021, si les conditions sanitaires le permettent, une seconde Assemblée générale pourra commencer de délibérer sur des projets de résolution et les renvoyer pour approfondissement aux forums thématiques.

Ce que nous pourrions en retenir en tant que catholiques Français

Catholiques en France, nous sommes engagés selon une démarche qui nous est propre dans une approche synodale nationale : parce que nous répondons nous aussi à l’appel du Pape François dans le cadre de « Promesses d’Eglises », ou parce que nous nous inscrivons aux côtés des évêques Français dans la perspective d’un synode mondial consacré à la synodalité. La démarche allemande peut sinon nous inspirer au moins nous encourager à plusieurs titres.

C’est d’abord la preuve, administrée par l’Assemblée générale du chemin synodal, qu’une Eglise catholique nationale, riche d’une grande diversité de ministères et de missions peut se structurer en une assemblée représentative de cette diversité et s’organiser de manière à permettre que s’établisse un dialogue effectif entre toutes ses composantes. J’ai été témoin de la vivacité de ce dialogue lorsqu’il touche aux prérogatives de l’évêque, à la remise en cause de la doctrine en matière de relations amoureuses extra conjugales, à l’exclusivité du célibat sacerdotal, à l’accès des femmes aux responsabilités et aux ministères. Les conditions procédurales de fonctionnement du Chemin synodal sont telles que ce dialogue peut avoir lieu sans mettre en cause le principe d’une acceptation commune de la préservation de l’unité au nom d’une confiance accordée ensemble au travail de l’Esprit saint. Autrement dit, le risque pris d’afficher des désaccords n’a pas entamé le principe général de l’unité. C’est ce que relève la présidence du Chemin synodal dans les conclusions de la visio-conférence de février 2021 : « Il est d’autant plus important de rester ensemble dans la controverse et de ne pas abandonner la fraternité du Chemin, d’être l’Eglise ensemble. Donner des réponses franches alors que nous sommes à un tournant qui soulève des questions nouvelles et anciennes, au regard desquelles la confrontation est justifiée et nécessaire, signifie aussi ne pas toujours trouver des positions totalement unanimes. Mais il est important d’y aspirer, de chercher le cœur de la vérité dans le discours de quelqu’un dont je ne partage pas l’opinion «.

Les mêmes conditions procédurales permettent également de concilier l’égalité en dignité de tous les baptisés, clercs et laïcs, et la reconnaissance mutuelle de la différence des « sacerdoces », ministériels et baptismaux. Cette expérience était particulièrement sensible dans les assemblées partielles thématiques co- présidées par un évêque et un laïc (une laïque souvent). Dans ces assemblées, la présentation des rapports se fait à deux voix, rendant perceptible la complémentarité des points de vue. De même les échanges se déroulent ils sur le registre de la « co- construction » rendue possible par l’exposé organisé des points de vue et l’expression des répliques qu’ils suscitent.

C’est la mise en place, de façon lisible et transparente, d’un cadre commun à l’ensemble des diocèses pour l’instruction et la réparation des situations d’abus sexuels. J’ai pu constater combien ls interventions de Mgr Ackermann, chargé de la mise en place de ce cadre avec l’assistance d’un groupe d’experts catholiques et non catholiques et représentatifs de diverses disciplines des sciences sociales, avait un caractère apaisant pour l’assemblée du Chemin Synodal, tant clercs que laïcs. Une sorte de guidance de référence se met en place qui limite de fait les marges de manœuvre de chaque évêque, astreint à rendre publiques les conditions d’application du cadre général. C’est en s’appuyant sur ce cadre que le nouveau président de la Conférence des évêques -d’Allemagne a pu prendre une claire distance à l’égard du cafouillage catastrophique dont le cardinal de Cologne s’est rendu responsable en décidant de ne pas publier le rapport qu’il avait ordonné pour son diocèse, éteignant ainsi un incendie qui s’était déclaré quelques jours avant la tenue de la Visio conférence. Parmi les éléments du cadre commun figure l’instauration d’un comité des victimes dont les représentants ont été largement écoutés au cours de la conférence et qui devrait jouer un rôle permanent. La participation effective et les avis rendus par ce comité, sont aux dires de Karin Kortman, vice-présidente du ZdK et membre de la présidence du Chemin synodal, une condition majeure de la crédibilité de l’ensemble de la démarche.

On retiendra enfin les trois conditions de fonctionnement du Chemin synodal qui rendent possibles l’adoption de résolutions concrètes de réforme :

  • Il s’agit du cadre procédural qui garantit l’équité des processus aux yeux de toutes les parties prenantes.

  • La prégnance de l’accompagnement spirituel qui crée les conditions d’un discernement collectif : d’une certaine façon, les délibérations du CS sont en permanence resituées dans une logique de recherche de la volonté du Seigneur pour l’orientation de l’Eglise.

  • Cela tient aussi à la distinction claire établie au point de départ entre quatre niveaux de réformes potentielles :  celui qui relèverait de l’évêque ; celui qui relèverait d’une décision prise à la majorité des membres de la Conférence des évêques allemands ; celui qui ressortirait de la seule autorité du Pape ; celui enfin qui relèverait d’un Concile. Dans ces derniers cas, les propositions de réforme seront transmises à Rome par le Chemin Synodal.

 

Le Chemin synodal allemand se situe d’entrée de jeu dans la perspective de l’Eglise universelle, la Weltkirche. C’est ce qui justifie la présence d’une vingtaine d’observateurs venus des églises catholiques voisines, mais aussi d’Afrique et d’Amérique latine. Ils sont présents en tant que témoins de l’Eglise universelle, disposent d’un temps de parole au cours des rencontres plénières et doivent évidemment rapporter ce qu’ils voient à leurs églises respectives.

A quoi pourraient ressembler les réformes portées par le Chemin synodal ?

Selon ma compréhension personnelle (que je n’ai pu confronter avec d’autres observateurs), c’est le premier forum consacré à « la distribution des pouvoirs et des responsabilités dans l’église « qui présente la forme la plus avancée. Il se présente en deux volets : le « Grundtext » qui fournit l’assise doctrinale et théologique de la réflexion et le « Handlungstext » qui contient les dispositions de réformes opérationnelles pour l’organisation des pouvoirs et des responsabilités. Ce 5 février, les caractéristiques d’ensemble du Grundtext ont reçu un large assentiment, notamment au chapitre des critères que devraient remplir les réformes opérationnelles. Sur ces bases, le « hearing » organisé en visio conférence a eu connaissance de trois exemples de projets de réforme présentés comme ayant un degré suffisant de maturité au regard de ces critères. Ils donnent une idée du type de changements auxquels pourraient se préparer les Catholiques allemands :

  • Instauration, à l’initiative de l’évêque, d’un « ordre de prédication », sorte de « réserve « de personnes habilitées à commenter les Ecritures lors des célébrations eucharistiques, où devraient figurer non seulement les clercs, mais aussi des laïcs, hommes et femmes, présentant les qualités requises.

  • Mise en place d’une cellule de médiation (Ombudsstelle) dans chaque diocèse, susceptible de recueillir et d’instruire (sans pouvoir décisionnaire) les différends résultant d’un exercice supposé abusif du pouvoir ecclésiastique.

  • Organisation s’un cadre comptable homogène pour la gestion des finances diocésaines susceptible de donner lieu à des audits indépendants.

Ce compte -rendu ne serait pas complet si l’on n’y mentionnait pas l’atmosphère joyeuse perceptible dans les ateliers3.  Nombre de participants, singulièrement de participantes, éprouvent et donnent le sentiment de contribuer à une tâche de renouveau qui ouvre d’autant plus d’espoirs que la période qui s’est écoulée a pu provoquer de tristesse et de désillusion.

Jérôme Vignon

Observateur du Chemin Synodal invité par le ZdK

1 Résumé présenté par Jérôme Vignon en tant qu’observateur français auprès du Chemin synodal avec Monseigneur Berthet, évêque de Saint Dié et Epinal.

2 Rapport des experts MGH d’après les villes sièges des principaux instituts de recherche associés pour son élaboration : Mannheim, Giessen, Heidelberg.

3 Voir la liste jointe des thèmes d’ateliers proposés par les participants au CS les 4 et 5 février (Téléchargez le document en suivant ce lien )