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Lutte contre les abus sexuels

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Prospectives

Qu’est ce que l’Église

Synodalité

 

Un moment de vérité

Véronique Margron (avec Jérôme Cordelier), Un moment de vérité, Albin Michel, 2019, 190 pages, 18 €.

Sœur Véronique Margron et devenue l’une des grandes voix de l’Église de France. Son expérience auprès de la protection de l’enfance l’a rendue sensible à la pédocriminalité, particulièrement celle qui est du fait de clercs. Dans ce livre, on retrouvera bien des thèmes déjà contenus dans l’entretien qu’elle a donné à Études en décembre 2018. Il faut d’abord prendre la mesure de ce qui nous arrive en mettant des mots sur les scandales. La dimension de « sacré » accentue la gravité du crime dans la mesure où « la référence à Dieu est un tragique facilitateur d’emprise ». On découvre alors que ces affaires peuvent être l’occasion d’un renouveau spirituel, celle de revenir à des pratiques plus évangéliques. Mais cela suppose un travail de réflexion qui n’hésite pas à aller en profondeur. Plusieurs pages sont consacrées à la question délicate de la sexualité. Pour accéder à l’éthique, il vaut mieux sortir du registre du pur et de l’impur. On s’arrêtera particulièrement sur les « douze travaux » proposés en fin d’ouvrage. Parmi ceux, on peut retenir : la mise au centre des victimes, la désacralisation de la figure du prêtre, la promotion de la place des femmes, le changement du style de l’Église, le renforcement du dialogue avec la société. Revoir le « style » consiste à sortir de toute posture de surplomb au profit du service de l’humain en sa vulnérabilité.

François Euvé

 

L’Église face aux abus sexuels sur mineurs

Marie-Jo Thiel, Bayard, 2019, 714 p.

Marie-Jo Thiel est médecin et professeure de théologie morale à Strasbourg. C’est aussi, en France, une connaisseuse avertie du dossier de la pédocriminalité dans l’Église catholique, puisqu’il y a plus de vingt ans qu’elle réfléchit, alerte et informe sur le sujet. Mobilisée dans les années 1990 par ses premières rencontres avec des personnes victimes de ces abus, elle a proposé dès 1998 aux évêques de France un article sur le sujet, avant de leur décrire, à Lourdes en 2000, la gravité du traumatisme subi et le clivage profond qui caractérise la personnalité des abuseurs pervers, fussent-ils prêtres de l’Église catholique.

Vingt ans plus tard donc, on s’aperçoit que ces premières prises de conscience et les mesures prises alors dans l’Église n’étaient pas suffisantes, ni pour protéger les enfants et les personnes vulnérables, ni pour rendre justice aux « survivants » – selon la terminologie anglo-saxonne qui préfère ce terme à celui de « victime ». La crise a pris l’ampleur que l’on sait et, avec elle, l’incompréhension, la colère et aussi beaucoup de confusion dans les esprits, en particulier dès qu’il s’agit d’essayer d’identifier les causes complexes de ce drame et de proposer des pistes de prévention. Comment s’en étonner d’ailleurs, puisqu’il s’agit ici de sexualité agie sur des enfants et que la confusion est précisément l’une des grandes caractéristiques de ce type d’abus ?

Il faut donc savoir gré à Marie-Jo Thiel de nous aider, une fois encore, à mettre quelque clarté et précision dans ce dossier. Tout au long de cette vaste somme, elle explore très méthodiquement chacun des différents registres de la question – les faits, l’histoire, le droit civil et canonique, les éléments psychologiques, sociologiques et aussi ecclésiologiques. Elle nous partage chemin faisant l’importante documentation qu’elle a accumulée[1] – bibliographie, chiffres et enquêtes, prises de positions officielles, liens téléchargeables, etc. – et nous offre ainsi l’ouvrage de référence qui manquait.

L’autre grand intérêt de l’ouvrage est que Marie-Jo Thiel est une théologienne engagée, qui ne fait pas mystère de ses convictions. Elle prend ainsi vigoureusement position dans l’ensemble des débats et soubresauts qui accompagnent cette crise, en particulier quand elle essaie de comprendre les éléments canoniques et les présupposés théologiques et ecclésiologiques qui ont pu, non pas « créer » les passages à l’acte des abuseurs, mais les faciliter ou favoriser leur enfouissement dans le silence. À celles et ceux qui estiment que l’Église ne serait pas plus coupable que d’autres institutions et qu’elle est même, en cette affaire, surtout victime d’un acharnement médiatique, elle rappelle ainsi que céder à cette « pulsion victimaire », c’est très précisément inverser les rôles avec les réelles victimes, comme savent justement si bien le faire les sujets pervers ; c’est surtout risquer de s’enfermer encore un peu plus dans son propre système.

Car « système » il y a, pour l’auteure : elle martèle tout au long de ces pages que ces abus relèvent bien d’un vrai problème « systémique » et non pas seulement de l’égarement de quelques hommes pécheurs, comme il y en a toujours eu et aura toujours dans l’Église, ni de la mauvaise formation ou information des évêques, à un moment de l’Histoire où la société tout entière mesurait mal la gravité de la pédocriminalité. Elle décrit donc ce système où culture du secret, théologie du ministère ordonné (qui lie indissolublement célibat, masculinité et présidence de l’assemblée), morale sexuelle et familiale fondée sur un « universel normatif intransigeant », aboutissent, quelles que soient les intentions de départ, à sacraliser la figure du prêtre, à exclure de tous les vrais lieux de décision laïcs et femmes, à construire un gouvernement d’hommes qui ne peut être remis en question de l’extérieur et risque de chercher à protéger les siens plutôt que les petits. Impossible donc, dans la lutte contre les abus sexuels, d’évoquer des causes univoques et simplistes (le célibat des prêtres pour certains, l’homosexualité ou le laxisme sexuel de la société pour d’autres). Impossible aussi de se contenter d’agir sur l’accueil des « survivants », sur la clarification du droit canon et des procédures de signalement, sur l’établissement de « guide lines », sur la formation : tout cela est bien évidemment nécessaire et même urgent, mais ce serait comme mettre un « pansement sur un tissu nécrosé », si l’on ne travaillait pas en même temps à un nouveau style d’Église.

Par bien des aspects, on le voit, Marie-Jo Thiel rejoint le diagnostic du pape François quand il dénonce le « cléricalisme ». Attention, dit-elle cependant avec quelque humour inquiet devant certaines déclarations d’évêques, à ne pas faire de ce mot un « mot-valise » à la « fonction cathartique » qui, en posant le cléricalisme comme une simple tentation commune à tous, éviterait précisément de s’attaquer aux racines du mal : comme si les laïcs et, parmi eux, les femmes, qui n’ont guère eu jusqu’ici accès aux décisions ni au simple « agenda » des questions à traiter dans l’Église, portaient le même degré de responsabilité dans cette crise. En tout cas, voici la parole d’une théologienne qui n’a pas peur de répondre à l’appel fait par le pape François à tout le peuple de Dieu, ni de prendre courageusement sa part de responsabilité dans la crise actuelle.

Emmanuelle Maupomé

[1] Au moins jusqu’en janvier 2019, c’est-à-dire avant le dernier sommet romain avec les présidents des conférences épiscopales, la sortie en France du documentaire d’Arte sur les abus commis sur les religieuses, du film de François Ozon Grâce à Dieu, du livre Sodoma (Robert Laffont, 2019), le motu proprio Vos estis lux Christi… Une éternité !

On savait, mais quoi ?

On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours
Claude Langlois, Editions Seuil, 2020, 240 p.

On entend souvent, au sujet des délits sexuels dont les révélations se multiplient, que les évêques « savaient »… L’Église savait donc, mais quoi exactement, et depuis quand ? Pour y répondre en historien, Claude Langlois s’intéresse à la manière dont l’Église a cherché à gérer ses clercs en difficulté et les prêtres pédophiles en particulier. L’Église savait bien, tout comme l’opinion publique d’ailleurs, la réalité de comportements sexuels graves, y compris sur des mineurs, de la part de prêtres ou de frères enseignants. Ces comportements ont été au fil du temps diversement interprétés (péché, inaptitude au sacerdoce, maladie mentale, délit ou crime) et traités (interdiction du ministère, soin ou, le plus souvent, simple déplacement du prêtre et soutien pour lui permettre d’échapper aux poursuites judiciaires). On savait donc des prêtres coupables, mais on ne savait guère, malgré les alertes lucides de certains, ni le danger que représentaient ces prêtres simplement déplacés, ni surtout la dévastation produite par leur crime sur les enfants victimes. Car l’histoire de la pédophilie dans l’Église est celle de la préoccupation pour les prêtres coupables bien plus que celle de l’attention aux victimes, dont la parole, portée d’abord par la société civile, n’a pu se faire entendre que très récemment. Si l’auteur annonce ne pas avoir l’ambition d’apporter « la ferme certitude des causes, ni les remèdes », il offre pourtant une enquête rigoureuse et qui se lit d’un trait. Plus encore, il partage en conclusion des convictions très suggestives, notamment ceci : les réflexions nées de cette crise portent aujourd’hui plus souvent sur les abus et leur gestion – abus de pouvoir, abus sexuels – que sur la nécessité de repenser fondamentalement les rapports du pouvoir et de la sexualité dans l’Église catholique.

Emmanuelle Maupomé

  • Scandales dans l'église

Scandales dans l’Église, des théologiens s’engagent

Catehrine Fino, Préface de Véronique de Thuy-Croizé, Cerf, 2020, 160 p.

Fruit d’un travail collectif et interdisciplinaire, réalisé à la demande de la Conférence des évêques de France, cet ouvrage représente la « première étape » d’une réflexion qui est ici soumise au « débat ». Il interroge la « responsabilité propre de la théologie » dans la crise des abus que traverse aujourd’hui l’Église et revêt donc une grande actualité. L’ouvrage croise perspectives spirituelle, morale, ecclésiologique et liturgique. Gilles Berceville met en lumière le fait que, dans les abus, c’est la foi elle-même qui est manipulée et suggère que cette manipulation possède des caractéristiques distinctes en contexte catholique. La riche contribution de Catherine Fino provoque à penser une juste intégration de la « vulnérabilité » en théologie. Luc Forestier, questionnant une conception verticale de l’autorité, invite à prendre acte tant du tournant synodal réalisé par le pape François, que du « poids des facteurs politiques » justifiant une prise en compte de « la situation de nos démocraties incertaines ». Dans cette ligne, Gilles Drouin incite à approfondir l’articulation entre sacerdoce baptismal et « ministère sacerdotal qui n’a de sens que pour permettre l’expression ou l’épanouissement du sacerdoce baptismal ». Enfin, Éric Vinçon propose des pistes pour une meilleure formation et pour un meilleur accompagnement des prêtres, encourageant notamment à développer une « culture de la supervision ». L’on ne peut que souhaiter que cet ouvrage suscite un authentique débat, stimulant une réflexion théologique si urgente.

Agnès Desmazières

  • Urgences pastorales

Urgences pastorales, Comprendre, partager, réformer

Christoph Theobald, Editions Bayard, 540 p.

Le projet du livre de Christoph Theobald est d’inciter l’Église à retrouver un dynamisme missionnaire. Et cela passe par une réforme, un combat spirituel qui « porte sur la capacité des chrétiens et de leurs Églises à mettre l’Évangile du Règne de Dieu à la disposition de toute l’humanité et de toute la terre comme ‟ressourceˮ salvatrice, au moment où les hommes et femmes habitant sur notre planète se trouvent confrontés à des défis d’une ampleur inédite » (p. 13).

L’auteur, dans une première partie intitulée « S’asseoir… Diagnostic du moment présent » nomme et met en perspective quelques-uns des défis actuels : montée de l’islam, extension des zones de pauvreté, intensification des flux migratoires, crise écologique, évolution du rapport à la mort, fantasmes du transhumanisme… De nouvelles manières d’habiter le monde se cherchent, marquées par une exigence de respect de l’autonomie personnelle, un souci aigu de la qualité de l’existence quotidienne, le sens d’une solidarité fraternelle large, la conscience que nous sommes devant des échéances cruciales pour l’avenir de notre planète. Beaucoup – des jeunes notamment –, conscients de ce qui est en jeu, sont prêts à s’engager et à payer de leur personne. Il y a ici un potentiel de créativité insoupçonné. Or la « proposition de sainteté » que l’Église donne à percevoir rejoint difficilement ces aspirations nouvelles. À tort ou à raison, elle est perçue comme légaliste, abstraite, trop préoccupée de sexualité ; elle parvient mal à donner à goûter ce qu’elle porte en son cœur, « à savoir la gratuité du don de la vie » que l’on peut à son tour « engager librement et gratuitement » (p. 84).

Pour Christoph Theobald, cela incite à redécouvrir un trait majeur du Christ : son existence est marquée de part en part par l’hospitalité. Son accueil de la vie comme don gratuit ouvre un espace pour chacun qui se voit ainsi remis en chemin, promis à une nouvelle genèse ; en réponse, certains engageront à leur tour leur vie sur ce mode gracieux. Cette vision de la mission du Christ qui, à la fois, se confronte aux réalités les plus dures et ouvre à de nouveaux commencements, inaugure une manière d’habiter le monde capable de résonner avec les urgences de l’époque et de faire pièce aux tentations du cynisme, du fatalisme ou du repli narcissique.

Or, un aspect important de l’affaiblissement de l’Église catholique (peut-être son principal problème) vient, selon l’auteur, de sa difficulté à prendre vraiment au sérieux sa propre source – cet évangile de l’hospitalité – et à se laisser renouveler, transformer par elle. Souvent encombrée par le souci de sa propre perpétuation, elle a bien du mal à laisser l’Esprit donner naissance à des figures nouvelles. Elle parvient difficilement, par exemple, à penser la communauté chrétienne plus largement que selon le mode paroissial, construite autour du ministre ordonné et accaparée avant tout par les services religieux (funérailles, baptêmes, mariages). Christoph Theobald, soucieux de l’enracinement local de l’Église, propose de « laisser advenir de véritables communautés sur place » qui soient « sujets collectifs » et « missionnaires pour leur environnement » (p. 324). Cela suppose aussi de passer à une nouvelle figure du pasteur, « passeur » plutôt que « pivot » (p. 329-332), autrement dit, quelqu’un dont la mission soit moins celle d’un chef d’orchestre obligé de veiller à tout, que celle d’un ministre soucieux du déploiement des charismes de chacun et de leur heureuse conjonction au service de l’Évangile, quelqu’un qui soutienne, relance, réconcilie, mette en relation, aide à entendre les appels et à y répondre. Une telle figure de pasteur ne reste pas longtemps seule, elle suscite d’autres ministères. L’auteur en nomme quelques-uns : autour de la gouvernance des communautés locales, au service de la Parole (catéchèse, liturgie, groupes bibliques) ; il esquisse aussi un « ministère d’hospitalité » qui serait responsable de l’ouverture de la communauté, de sa capacité d’accueil et de son intérêt pour son environnement (p. 336).

En somme, la proposition de Christoph Theobald est une invitation pour l’Église à se laisser questionner par ce que vivent nos contemporains, avec la confiance que, de cette rencontre, ne peut surgir qu’un surcroît de vitalité évangélique. Bien sûr, les axes ainsi ouverts sont faits pour être débattus (pour ma part, je serais enclin à insister davantage sur une présence prioritaire à ceux qui vivent des situations de grande détresse, ce qui permet de mieux honorer, je crois, le rendez-vous pascal de la vocation chrétienne).

Eh bien, avec tout cela, il y a de quoi faire un concile de l’Église de France, non ?

Étienne Grieu sj

L’invention de l’Église.

Essai sur la genèse ecclésiale du politique entre Moyen Âge et Modernité

Bénédicte Sère, Edutions PUF, 2019, 288 p.

L’invention de l’Église dont il est ici question est celle des historiens-théologiens qui ont inspiré et accompagné le concile de Vatican II (en France, principalement Marie-Dominique Chenu et Yves Congar), en puisant aux sources de l’époque du Grand schisme et des débats conciliaires du XVème siècle. L’auteure entend montrer comment « l’Église a continûment manipulé l’histoire de son propre passé pour construire sa mémoire et se mettre en récit, en un va-et-vient constant entre Moyen Âge et Modernité, voire Contemporanéité ». Elle le fait en sept essais d’historiographie critique autour des notions de conciliarisme, de constitutionnalisme, de collégialité, de réformisme, d’antiromanisme, de modernisme et d’infaillibilisme. À propos de chacune d’elle, elle analyse quel usage en a été fait du Moyen Âge aux XIXème et XXème siècles, que ce soit par les partisans ou par les adversaires de la collégialité ou de l’infaillibilité par exemple. L’auteure invite à un retour aux archives et à une nouvelle lecture de sources, parfois inédites, du Moyen Âge, pour les confronter aux récits devenus canoniques des manuels d’histoire religieuse. On comprend avec elle que la collégialité épiscopale contemporaine n’a rien à voir avec celle des assemblées synodales et conciliaires du XVème siècle, alors qu’à l’inverse, l’infaillibilité pontificale n’est pas une idée neuve au XIXème siècle. Elle est apparue au XIVème siècle mais, paradoxalement, pour limiter le pouvoir pontifical, empêchant un pape à venir d’invalider les décisions d’un pontife précédent. En affirmant sa volonté de « faire de l’histoire religieuse en vue d’autre chose que le religieux », Bénédicte Sère apporte une contribution critique et des matériaux décisifs aux réflexions ecclésiologiques en cours.

Michel Sot