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Un temps pour changer – intervention de Monique Baujard à l’assemblée générale de Promesses d’Eglise
Intervention de Monique Baujard lors de l’assemblée générale de Promesses d’Eglise,
le 2 février 2021
Monique Baujard est doctorante en théologie et responsable associatif
Le collectif Promesses d’Eglise s’est formé à la suite de la Lettre au Peuple de Dieu du pape François. Une lettre qui marque un point de non-retour dans l’Eglise. D’abord parce que le pape y fait le lien entre abus sexuels, abus de pouvoir et abus de conscience. Ensuite, parce qu’il invite explicitement tous les baptisés à se préoccuper du fonctionnement interne de l’Eglise. Le pape lie très fortement transformation ecclésiale et sociale. L’Eglise n’existe pas pour elle-même, elle est là pour le monde. Pour éclairer le monde, elle doit sortir de la crise des abus, elle doit en sortir transformée.
C’est à partir de la crise, non pas des abus, mais de la Covid-19, que le pape a publié un petit livre intitulé « Un temps pour changer ». Paru début décembre 2020, il n’a pas bénéficié de beaucoup de publicité, peut-être parce qu’il est venu peu de temps après Fratelli tutti. Fratelli tutti est un très beau texte qui reprend beaucoup d’allocutions faites par le pape François sur le thème de la fraternité en différentes occasions. C’est aussi une encyclique, donc un document officiel et assez long du magistère.
Le livre « Un temps pour changer » offre un texte beaucoup plus court mais aussi une parole beaucoup plus personnelle du pape François. Il parle de la crise sanitaire qui nous déstabilise tous et se livre à une réflexion sur l’incidence des crises dans nos vies (1). Il affine un certain nombre de ses idées, déjà esquissées ailleurs. Sur deux points, sa pensée est originale et novatrice. D’abord lorsqu’il s’agit d’aborder les conflits et les divergences. Sur ce point le pape fait le lien avec la synodalité et cela rejoint très directement l’expérience de Promesses d’Eglise (2). Je n’aurai pas le temps ce soir d’aborder le second point concernant la formation et la vie d’un peuple, mais dans les deux cas, il y a un va-et-vient entre la vie de l’Eglise et la vie en société. Ils mettent en évidence, d’une façon peut-être inattendue, comment l’Eglise peut inspirer la société aujourd’hui.
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La vie au gré des crises
« On ne sort jamais indemne d’une crise ; c’est une règle fondamentale. Si tu t’en sors, tu en sors meilleur ou pire, mais jamais comme avant ». Dès la première page, la franchise du ton est là. Le pape nous dit que dans la vie nous sommes tous mis à l’épreuve et que c’est ainsi que nous grandissons. Les crises nous révèlent, dans notre grandeur ou notre petitesse. Nous pouvons régresser ou créer quelque chose de nouveau. La crise est une opportunité pour changer, pour laisser la place à la nouveauté dont nous avons besoin. Pour cela, il faut se laisser toucher par la douleur des autres et oser rêver « en grand », concevoir de meilleures façons de vivre ensemble sur cette terre.
Le titre français du livre est « un temps pour changer » mais les titres originaux en espagnol et anglais sont « soñemos juntos / let us dream », c’est-à-dire « rêvons ensemble ». Le pape rêve d’un mouvement populaire généreux, qui abandonne l’individualisme comme principe d’organisation de la société, qui affirme que nous avons besoin les uns des autres, qui valorise le bien commun et se concentre sur la fraternité. Pour lui, des cœurs éprouvés par la crise peut jaillir un débordement de miséricorde, signe de la présence de Dieu parmi nous. L’idée que l’humanité pourrait sortir meilleure de la crise est pour François un motif d’espérance, mais pour cela il indique qu’il faut voir clair, bien choisir et agir correctement. C’est ce triptyque, un temps pour voir, un temps pour choisir, un temps pour agir, qui rythme le livre.
Il montre alors dans « un temps pour voir » comment une crise peut nous permettre d’élargir notre regard. Cela n’a rien d’automatique. Le narcissisme, le découragement et le pessimisme peuvent nous enfermer dans notre malheur et il faut les combattre. L’indifférence à la souffrance de l’autre peut aussi détourner notre regard et nous faire passer à côté des opportunités de changement. Mais un discernement est possible, nous pouvons nous laisser toucher par la souffrance des autres et nos yeux peuvent s’ouvrir aussi sur nos propres défauts. La Covid provoque aujourd’hui une mise à l’arrêt de la société, mais de telles mises à l’arrêt surviennent dans chaque vie. Nous avons alors besoin des autres. Nos « Covid personnelles » révèlent ce qui doit changer. Après avoir cité quelques exemples bibliques, le pape parle très ouvertement des trois crises personnelles qu’il a vécues et comment elles l’ont changé.
La crise en 1957 avec l’opération du poumon qui lui a failli couter la vie ; son séjour en Allemagne où il a fait l’expérience du déracinement et, surtout, l’épreuve d’une mise à l’écart avec un séjour de deux ans dans une bourgade en Argentine. Il en parle avec simplicité, posant un regard critique sur lui-même, analysant le comportement des autres, et admettant que ces crises l’ont marqué à vie.
Il conclut : « Ce que j’ai compris, c’est que tu souffres beaucoup, mais si tu te laisses transformer, tu en sors meilleur. Et si tu t’enfonces, tu en sors pire ». Le plus grand fruit d’une crise est pour lui : « la patience, saupoudrée d’un sain sens de l’humour qui nous permet d’endurer et de faire de la place pour que le changement se produise ». Avec en prime une lucidité qui lui fait dire que la bataille n’est jamais finie : le diable, une fois éloigné, peut encore renvoyer sept autres démons bien pires !
Ce sont de très belles pages, où le pape parle à hauteur d’homme, il n’y a pas angélisme naïf ni de défaitisme. Mais le conseil d’accepter la crise comme une occasion pour se laisser transformer, personnellement et collectivement. Et en ce sens-là, c’est un message d’espérance qui nous fait du bien.
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Avancer ensemble avec nos différences
Entre le temps pour voir et le temps pour agir, il y a une phase de discernement nécessaire : le temps de choisir. Dans cette partie le pape explique le discernement des esprits. Il refuse à la fois une conception rigide de la vérité, comme si celle-ci était une entité statique, et le relativisme, qu’il qualifie de camouflage de l’égoïsme.
Comme indiqué, le pape rêve d’une société qui proposerait le principe de fraternité comme principe organisateur de la vie commune au lieu de l’individualisme. Cela implique de faire une unité, unité des cœurs et des esprits, qui respecte les différences. Alors qu’aujourd’hui, il y a un vrai risque de fragmentation de la société. Le pape dénonce une compétition où les adversaires cherchent seulement à s’annuler dans un jeu de pouvoir. Quand le dialogue sincère fait défaut, le résultat est une polarisation de toutes les questions politiques. Pour le pape, il ne s’agit pas d’éviter les conflits mais de s’engager dans le conflit, d’assumer le désaccord d’une manière qui empêche de tomber dans la polarisation. Affronter les divisions, tout en permettant à des nouvelles pensées d’émerger pour transcender les désaccords.
Pour cela le pape s’inspire de Romano Guardini et son concept de pensée « incomplète », inachevée. Le pape dit avoir appris de Guardini (sujet de sa thèse qu’il n’a jamais terminée) de ne pas exiger toujours des certitudes absolues, d’affronter les problèmes complexes en acceptant qu’ils ne peuvent être résolus par une simple application des normes. Qu’il est des moments où il faut laisser un espace pour la contemplation, le discernement pouvant se poursuivre plus tard. Une façon de penser qui, aux dires du pape, permet de naviguer dans les conflits sans se faire prendre au piège.
Il explique que Guardini fait la différence entre contradictions et contrapositions. La contraposition existe quand deux pôles sont en tension comme, par exemple, le local et le global. Ce sont deux visions différentes d’un même problème, mais il peut y avoir entre elles une tension féconde et créatrice. La contradiction, au contraire, oblige à choisir entre le bien et le mal. Il n’y a pas de tension féconde car l’un est la négation de l’autre.
Pour le pape, beaucoup de divergences relèvent des contrapositions mais, sous l’effet d’une pensée médiocre, il y a une tendance actuelle à les traiter comme des contradictions. Des politiques sans scrupules réduisent ainsi des problèmes complexes à des choix manichéens. De l’autre côté, il peut y avoir une volonté de nier la tension inhérente aux contrapositions. Le risque est alors de tomber dans le relativisme (tout se vaut) ou dans la paix à tout prix. Clairement, François refuse l’une et l’autre approche. Pour lui, il s’agit d’endurer le conflit, de discerner, pour essayer d’aller au-delà des apparences et ouvrir sur une nouvelle synthèse qui préserve les différents pôles. Lorsque le dialogue se fait dans la confiance et que tous acceptent de se mettre dans une humble recherche du bien commun, il peut y avoir alors une telle percée dans le dialogue, une solution inattendue, comme un don, un débordement. Ce débordement, le pape François y reconnaît la présence de Dieu.
C’est pour encourager de tels débordements que le pape a voulu remettre à l’honneur cette ancienne pratique dans l’Eglise qu’est la synodalité. Le but n’est pas tant de forger un accord que de reconnaître, d’honorer et de réconcilier les différences dans l’Eglise sur un plan supérieur où le meilleur de chacun peut être retenu. François fait le détour par la musique pour expliquer qu’il faut bien des notes différentes pour créer une harmonie. L’harmonie est plus riche que chaque note, plus complexe, plus inattendue, tout est dans l’articulation des singularités. Dans l’Eglise, c’est l’Esprit Saint qui crée l’harmonie. Cette harmonie nous permet d’avancer ensemble sur le même chemin (synodos), avec toute la palette de nos différences.
En cela, les pages du pape renvoient directement à ce que nous essayons de vivre à Promesses d’Eglise. Nous sommes différents, le CCFD et l’Emmanuel, pour ne prendre qu’un exemple, ce n’est pas la même façon de vivre sa foi. Mais il nous semble qu’il y a une tension féconde entre nous et nous espérons que quelque chose d’inattendue peut en sortir. Au moins, pour le moment, c’est une expérience très enrichissante pour nous-mêmes.
Mais, cela va plus loin. Cette nouvelle façon de vivre en Eglise est importante pour la société. Le pape le dit : « Cette approche synodale est quelque chose dont notre monde a grand besoin. Plutôt que de chercher la confrontation, de déclarer la guerre, chaque partie espérant vaincre l’autre, nous avons besoin de processus qui permettent aux différences d’être exprimées, entendues et maturées de manière à ce que nous puissions marcher ensemble sans avoir besoin de détruire qui que ce soit ».
Ici le lien entre transformation ecclésiale et sociale est évident. C’est parce que les catholiques arriveront à faire chemin ensemble en honorant leurs différences qu’ils vont pouvoir inspirer la société à vivre autrement les conflits et les désaccords. L’Eglise synodale n’est pas une Eglise qui dit aux autres ce qu’ils doivent faire ou pas faire. C’est une Eglise qui vit une expérience qu’elle cherche à partager avec la société. C’est une toute autre posture. C’est une exigence pour nous tous mais c’est aussi très enthousiasmant.
Le pape n’est pas naïf et dans les pages qui suivent il évoque les difficultés expérimentées lors des trois synodes qui ont déjà eu lieu (synode pour la famille, pour les jeunes et pour l’Amazonie). La synodalité commence avec l’écoute de tout le peuple de Dieu, une écoute réciproque et une écoute de l’Esprit Saint. La discussion pendant le synode ne porte pas sur les dogmes mais sur la façon dont l’enseignement de l’Eglise peut être reçu et vécu aujourd’hui. Dans cette discussion, la franchise est de rigueur et le pape trouve normal qu’il puisse y avoir des désaccords et des débats intenses. Certains ont bien essayé d’imposer leurs points de vue, de faire pression, de s’arroger le monopole de l’interprétation, révélant parfois des agendas cachés. Les médias ont souvent focalisé sur des points particuliers (divorcés-remariés, ordination des hommes mariés), passant à côté des véritables enjeux des synodes. Le pape n’ignore rien de tout cela et ne propose pas la synodalité comme un remède miracle. Il estime que nous pouvons tirer des leçons de l’expérience synodale.
D’abord, ce qui importe n’est pas tant d’arriver à un accord que de marcher ensemble, de s’écouter mutuellement dans le respect et la confiance, de croire en notre unité et d’accueillir la nouveauté que l’Esprit nous révèle.
Ensuite, c’est accepter de laisser place à un débordement, à l’émergence de solutions imprévues qui peuvent nous obliger à nous remettre en cause.
Enfin, c’est une nouvel apprentissage du temps dont le pape affirme toujours qu’il est supérieure à l’espace. La crise de la Covid peut nous aider car elle a modifié notre rapport au temps. Le temps appartient à Dieu et « notre Dieu est un Dieu de Surprises, toujours en avance sur nous ».
Ainsi ce livre du pape François nous encourage tous à continuer sur le chemin de la synodalité et Promesses d’Eglise ne peut que s’en trouver conforté dans sa démarche.
Dieu, un détour inutile

Louis-Marie Chauvet
Dieu, un détour inutile ?
Entretiens avec Dominique Saint-Macary et Pierre Sinizergues
Cerf, 2020, 348 pages, 22 €
Dans son enseignement de théologie fondamentale et sacramentaire à l’Institut catholique de Paris, le père Louis-Marie Chauvet a transmis à ses étudiants le goût de la pensée. Il donne dans ces entretiens, faits à la demande de ses interlocuteurs, un écho très porteur de ce que peut opérer la théologie dans une existence de croyant et de pasteur. La mention de son enfance et de sa foi heureuses en terre de Vendée avant le Concile ne conduit en rien à une nostalgie. La fidélité à cette enfance prend un autre chemin quand, arrivé à Paris, il s’agit de chercher et trouver comment vivre libre dans des conditions très différentes de celles qu’il avait connues jusqu’alors. La fréquentation des auteurs philosophes, théologiens, et de la psychanalyse aussi, rend pour lui, comme pour tant d’autres, la vie et la foi plus distinctes et plus libres. Cette libération par la réflexion théologique, qu’il dit avoir connue pour lui-même, il en donne les moyens à ses interlocuteurs et à ses lecteurs avec une volonté de centrer son propos sur ce qui, dit-il, est bien plus qu’un ensemble de valeurs : l’attachement au Christ et la forme eucharistique de la vie. Plus les entretiens avancent, plus les questions de théologie sacramentaire sont abordées. Elles le sont toujours à hauteur du questionnement des interlocuteurs, et donc du lecteur dont ils ont le souci, de telle sorte que ce livre propose sous forme vivante une très bonne introduction à la théologie, entendue sous l’angle de ce qu’il est nécessaire de comprendre pour vivre en Église de façon heureuse. Louis-Marie-Chauvet met au service de beaucoup de lecteurs sa grande amitié pour le « nous » qu’est l’Église.
Claire-Anne Baudin
Xavier de Verchère répond au questionnaire de Promesses d’Eglise

LePère Xavier de VERCHERE est salésien et Aumônier Général des Scouts et Guides de France
- Dans sa Lettre au Peuple de Dieu, le pape François appelle à une transformation ecclésiale et sociale qui passe par un refus de toute forme de cléricalisme. Quel lien faites-vous entre transformation ecclésiale et sociale ?
L’Eglise est à la fois une assemblée visible et une communauté spirituelle, institution et corps mystique qui veut se rendre présent au monde. Son lien à la société se situe dans un dialogue mutuel, en ayant un témoignage de foi et en recevant de la société une aide précieuse comme le rappelle le concile Vatican II. Or nous nous trouvons dans une crise ecclésiale profonde liée aux abus et dont la cause est le cléricalisme comme abus de pouvoir. Cette dérive affecte aussi la société. Face à cela, le Pape prend le problème à la racine. Il appelle tout le Peuple de Dieu à une transformation en profondeur qui commence par la conversion personnelle et se poursuit pour toucher toutes les structures. Dans ce processus, l’Eglise peut ouvrir une voie et montrer l’exemple, pas seulement par des mots mais par des actes. Et mieux, cette transformation ecclésiale peut catalyser positivement la société, car les chrétiens sont aussi dans le monde comme un ferment.
- Quels domaines ou quelles évolutions vous paraissent prioritaires aujourd’hui ?
Trois domaines me paraissent prioritaires : l’écoute des plus pauvres, la place des jeunes et le rôle des femmes dans l’Eglise. Diaconia a lancé une belle dynamique, l’option prioritaire pour les jeunes semble bien embarquée, mais pour ce qui concerne la responsabilité des femmes dans l’Eglise, le chantier n’en est qu’à ses débuts. Ces trois défis touchent trop à l’essentiel pour être simplement circonstanciels. Si nous étions convaincus que tout baptisé a une place et une mission à accomplir, si nous nous laissions davantage guider par le « sensus fidelium », nous éviterions cette dérive du cléricalisme. Ce sens de la foi est enraciné en tout membre du peuple de Dieu qui reçoit, comprend et vit de la Parole de Dieu dans l’Eglise, quel que soit sa condition. Donner la parole, c’est aussi écouter. Et l’écoute est une attitude spirituelle fondamentale : « Ecoute Israël » ! Ensuite, un autre enjeu plus vaste encore est certainement la synergie entre les diverses composantes ecclésiales. Comment diocèses, mouvements, associations, congrégations peuvent partager et œuvrer ensemble face aux enjeux du XXIè siècle ? C’est la démarche que cherche à engager Promesses d’Eglise.
- Quels obstacles ou quels points de vigilance voyez-vous sur ce chemin de la transformation ?
La tentation est de vouloir obtenir des résultats visibles rapidement et finalement de se décourager quand on ne voit pas de transformation. Le Pape pointe bien l’enjeu de la conversion qui est moins un effort sur soi qu’un travail de l’Esprit en soi. Il parle du jeûne et de la prière ! Le reste suivra. Il se situe en cela dans la sagesse d’un François de Sales invitant à commencer par l’intérieur. « Qui a gagné le cœur de l’homme a gagné tout l’homme. » Un autre obstacle serait de commencer par de « hauts débats » avant d’apprendre à se connaitre et faire corps. L’expérience d’être ensemble est première. Et on ne va au bout d’une aventure qu’avec des personnes que l’on connait bien ! Enfin, il faut accepter de se laisser déplacer en s’éduquant mutuellement, sans trop arrondir les angles systématiquement : quitter ses conceptions et sortir de sa zone de confort avec l’idée que chacun a une parcelle de vérité qui se révèle souvent au final en une tension fertile. Il faut aussi éviter de rester collé à sa propre réalité et prendre de la hauteur : l’Eglise a reçu une mission de service de l’Evangile, ce n’est pas le moment de tomber dans les mesquineries ou les egos.
- Quel signe ou quelle expérience concrète vous fait dire que cette transformation est déjà en marche ou en tout cas possible ?
Grâce à cette crise ressort une plus grande liberté de parole dans l’Eglise. C’est toujours positif et sain quand dans une famille on s’assoie et on parle librement de sujets importants. Il y a beaucoup d’expérience peu ou mal connues qui ne sont pas capitalisées. Promesse d’Eglise en est le réceptacle. Au niveau des Scouts et Guides de France, au-delà de certains acquis comme la promesse, le jeu des conseils, la relecture, les responsabilités qui seraient à diffuser vu les fruits éducatifs et spirituels que l’on découvre, il y a aussi le « conseil des jeunes » initié en 2019. Il est le fruit d’une réflexion des SGDF sur l’éducation à la prise de décisions et à la citoyenneté dans le processus démocratique de l’association. Un conseil des jeunes est un espace dans lequel les jeunes s’expriment librement et où leur parole n’est pas influencée par les adultes. Ils échangent, débattent, délibèrent et le résultat de leurs discussions est porté aux différentes instances de l’association. Et cela marche très bien ! Nos jeunes confirmés dans l’Eglise pourraient avec ce modèle trouver davantage de place dans les instances et apporter un souffle certain.
Françoisphobie
Yves Chiron, Françoisphobie, Cerf, 2020, 352 pages, 20 €
Les attaques contre le pape François provenant de l’intérieur de l’Église, y compris de cardinaux, contrastent avec la popularité dont il bénéficie à l’extérieur. L’historien Yves Chiron propose un parcours de diverses « affaires » qui ont défrayé les chroniques médiatiques. Une attention particulière est donnée au cas de Mgr Carlo Viganò qui apparaît de plus en plus comme le « Grand Accusateur ». En dépit des apparences, les accusations de « rupture » à l’égard de ses prédécesseurs ne reposent sur aucun fondement. L’auteur s’efforce de montrer que François n’est en aucune façon un « novateur » mais un « continuateur », que ce soit à propos de la réforme de la Curie, de la discipline ecclésiale (ordination presbytérale d’hommes mariés, voire de femmes) ou des doctrines morales (contraception, avortement, euthanasie, etc.). La démonstration repose sur une riche documentation, en particulier les nombreux sites « vaticanistes » peu connus en France. Il aurait été intéressant de prolonger l’analyse en montrant que la continuité sur le contenu (comment pourrait-il en être autrement ?) fait ressortir par contraste la nouveauté dans le « style ». Une parole personnelle, imagée, directe ouvre au dialogue, bien plus qu’un discours « dogmatique ». L’important est que, sur les questions abordées, des débats s’instaurent, loin des polémiques stériles et fastidieuses.
François Euvé
Le grand silence
Constance Vilanova
Religieuses abusées.
Le grand silence, Artège, 2020, 216 pages, 17 €
Préface de Stéphane Joulain
Durant l’été 2018, une nouvelle vague de révélations d’abus sexuels dans l’Église éclate. Les victimes sont cette fois des adultes, des religieuses, et les auteurs des crimes des prêtres, des religieux, des évêques, au Chili, en Italie, en Inde… En France et en Allemagne, c’est en mars 2019 que le documentaire d’Arte « Religieuses abusées », révèle au grand public et aux fidèles atterrés cette réalité. La parole de ces religieuses, longtemps tue, voire étouffée, commence donc elle aussi à se « libérer », profitant sans doute des portes ouvertes à la fois par les victimes de la pédocriminalité dans l’Église, et par le mouvement #Metoo. La journaliste Constance Vilanova nous livre dans ce livre à la couverture et au titre inutilement accrocheurs son enquête sur le sujet. Enquête difficile pour elle, qui répète avoir souvent eu l’impression de se heurter à un « grand silence ». Enquête sérieuse en même temps : elle retrouve les rapports de religieuses missionnaires qui, il y a trente ans, dénonçaient déjà ces abus devant les instances romaines. Elle donne également la parole à des « lançeuses d’alerte » passées ou actuelles, à des témoins, à des victimes, mais aussi à des responsables ecclésiaux, qui tous et toutes tentent de parler, de dénoncer le sort souvent réservé à ces religieuses (obligation au silence, culpabilisation, exclusion de la communauté, parfois avortement imposé), de les accompagner et enfin d’éclairer les mécanismes qui favorisent ces abus : la dépendance matérielle ou spirituelle de certaines sœurs, la place des hommes dans certaines cultures, et, partout, la tendance à sacraliser la place du prêtre ainsi qu’à pratiquer « la culture du secret » dans l’Église.
Emmanuelle Maupomé
La bataille d’Osorno
Régine et Guy Ringwald
La bataille d’Osorno
Temps Présent/Golias, 2020, 290 pages, 19 €
Le titre de cet ouvrage fait référence aux combats menés par les laïcs d’Osorno (Chili), face à leur évêque Mgr Juan Barros, nommé en janvier 2015 par le pape malgré sa proximité avec le très fameux père Fernand Karadima, qui fut jugé et condamné par l’Église en 2011 pour pédophilie. C’est tout le fonctionnement de l’empire Karadima qui est ici exposé, ses alliances avec Augusto Pinochet et avec la bourgeoisie de Santiago, la capitale, ses méthodes perverses de contrôle spirituel dans sa paroisse d’El Bosque et les abus sexuels qu’il a perpétrés depuis les années 1960. La nomination à l’évêché d’Osorno de Juan Barros, un de ses protégés, pousse de nombreux laïcs à se faire entendre fortement, avec l’appui des victimes de Karadima. Le voyage du pape au Chili en janvier 2018, sa défense de Mgr Barros puis sa découverte d’une culture des abus dans ce pays a montré l’ambigüité de la hiérarchie (le nonce apostolique, le cardinal de Santiago etc.) face à ces drames. Après un traitement de choc, le pape ayant demandé la démission de tous les évêques chiliens, il semble que la routine administrative ait repris le dessus. Tous ces événements sont racontés avec force détails, lettres, analyses, déclarations. Ce volume déjà éprouvant à parcourir par le caractère bouleversant de son sujet s’achève sur un chapitre concernant le jésuite Renato Poblete, très célèbre au Chili, décédé en 2010. Sa double vie, entretenue par l’argent et le pouvoir, a été révélée en avril 2019 par une de ses victimes devenue son « esclave sexuelle » pendant huit ans dans les années 1980-1990. Ce récit résume tragiquement toutes les compromissions de l’Église face aux abus sexuels.
Pierre de Charentenay