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Bonne lecture et bonne réflexion

L’Église a-t-elle un problème avec les femmes ? Entretien avec Mgr Vesco

Femmes, fraternité, altérité : l’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco, s’exprime

 

Entretien publié par “Donne, Chiesa, Mondo”, le supplément mensuel de l’Osservatore Romano de mars 2024. Propos recueillis par Marie-Lucile Kubacki.

 

Archevêque d’Alger et franco-algérien, Jean-Paul Vesco, soixante et un ans, a longuement réfléchi à la notion de fraternité et d’altérité, l’un des fruits de son expérience en Algérie et de son appartenance à l’ordre dominicain, qui imprègne sa réflexion sur les femmes.

 

« Oui, l’Église a un problème »

 

L’Église catholique a-t-elle un problème avec les femmes ?

 

La formulation de la question est un peu provocatrice, mais oui l’Église a depuis des siècles un problème avec les femmes, comme d’une façon générale les deux autres monothéismes et peut-être la plupart des religions. Cela ne vaut pas excuse, il aurait été tellement bon et légitime qu’il en fut différemment pour le christianisme depuis les origines ! A quelques heureuses exceptions récentes près, les femmes sont absentes de la gouvernance et du commentaire de la parole de Dieu lors de la célébration dominicale, alors qu’elles sont présentes partout ailleurs. Elles sont la chair des paroisses, elles sont souvent l’âme des églises domestiques que sont les familles et ce sont encore elles qui, la plupart du temps, s’occupent du catéchisme.

 

Dans notre représentation, l’Église est par définition atemporelle, une Église patriarcale hors des courants, des modes et des outrages du temps. Or, en l’absence d’une implication beaucoup plus forte des femmes dans des fonctions de responsabilité et de visibilité, notre Église court paradoxalement le risque de devenir une Église démodée, non pas atemporelle mais anachronique et dépassée dans son organisation. L’Église catholique, c’est-à-dire universelle, si elle n’est pas du monde est bien inscrite dans le monde et elle ne peut pas se réfugier dans une logique de niche auto référencée par rapport au monde.

 

La question des responsabilités des laïcs et donc aussi des femmes a été largement soulevée lors des consultations qui ont précédé le synode : aujourd’hui le problème saute aux yeux. La guerre des enfants de chœur qui voudrait qu’il n’y ait que des garçons autour de l’autel comme cela se voit en certains endroits, ne passe plus. Dans les dicastères du Vatican où les femmes commencent à être plus nombreuses qu’autrefois, et où elles occupent de plus hautes responsabilités, l’atmosphère est radicalement différente. Il suffit de quelques femmes pour que, déjà, la curie ne soit plus cet entre soi clérical malheureusement si facilement stigmatisable.

 

On dit souvent qu’il serait aujourd’hui impossible de réunir un concile au niveau de l’Église universelle en raison de la difficulté matérielle à rassembler plus de 5000 évêques. Mais là n’est plus la question. L’image de la salle Paul VI, pendant le synode, avec des cardinaux, des évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses, des laïcs, hommes et femmes, autour des tables sur un même plan manifeste un basculement d’époque, la prise de conscience qu’il est devenu impossible de décider seulement entre évêques. D’une certaine manière, le synode sur la synodalité a très naturellement rendu obsolète la perspective d’un concile Vatican III ! Qui pourrait aujourd’hui imaginer que l’avenir de l’Eglise puisse se discerner dans une assemblée d’évêques seulement ?

 

Quelle est la place des femmes dans la gouvernance du diocèse d’Alger ?

 

Dans notre diocèse, j’ai voulu m’entourer d’une équipe restreinte en plus des différents conseils. Elle est composée des principaux responsables qui forment la curie diocésaine : vicaire général, secrétaire générale, économe, économe-adjointe, responsable de la diaconie et moi-même. Il se trouve que cela forme une équipe composée de quatre femmes et deux hommes. La plupart des décisions sont réfléchies ensemble. D’une façon plus générale, je vis dans un environnement essentiellement féminin et c’est du bonheur au quotidien ! Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’accrochages. Un jour, l’une d’elles m’a lancé : “ à la fin, de toutes façons, c’est toi qui décides !”. C’est vrai, et c’est une vraie question. Dans notre Eglise catholique, les décisions sont assumées par l’évêque qui les incarne. Le modèle peut sans doute évoluer. A ce titre les modèles de gouvernance dans la vie religieuse peuvent être inspirants : beaucoup de décisions sont prises par des chapitres ou des conseils élus, et les limitations au pouvoir de décision des supérieurs ne retirent rien à leur pouvoir symbolique. Cela dit, il me semble que dans la plupart des cas, la confiance qui nait de la connaissance mutuelle et de la poursuite d’un projet commun, fait que la plus grande partie des décisions font l’objet d’un large consensus quand ce n’est pas l’unanimité. En dans tous les cas, les avis de chacun et chacune ont été entendus et ont pesé d’une façon ou d’une autre sur la décision qui s’en ressent. Je crois que c’est une expérience forte pour chacun et chacune, moi y compris !

 

Derrière la question des femmes il y a celle de la place des laïcs…

 

Bien sûr ! Lors de la phase diocésaine du synode sur la synodalité, dans le diocèse d’Alger, le souhait des chrétiens natifs du pays à participer à la vie de l’Église a été fortement exprimé. Ils considèrent à juste titre l’Église comme leur Église car algérienne. Pourtant, ils se sentent marginalisés au profit de permanents que nous sommes, essentiellement religieux et étrangers, qui depuis l’indépendance du pays constituent l’essentiel des forces vives de l’Église. De fait, ils étaient quasiment absents des instances de décision. Nous avons entendu cet appel et en avons tenu fortement compte dans la composition des différents conseils épiscopal, économique et pastoral. Au conseil épiscopal, il y a trois prêtres, une religieuse, une focolarine et 4 laïcs algériens dont 2 femmes. Cela change totalement l’atmosphère. Là encore, nous sortons d’un entre-soi. Ce n’est pas toujours facile et rien n’est gagné, mais nos codes, nos évidences, sont à remiser au placard. Il nous faut apprendre à nous comprendre et à mesurer l’abîme d’incompréhension qui parfois nous sépare dont nous n’avions pas conscience car il n’avait pas de lieu d’expression. Notre Église doit devenir beaucoup moins cléricale, c’est un enjeu pour l’Église universelle à tous les niveaux et en tous lieux. Cet enjeu n’est pas dépourvu d’une revendication de pouvoir, avec tout ce que cela peut avoir de désagréable. Mais reprocher à l’autre de vouloir prendre un pouvoir signifie souvent l’exercer soi-même sans forcément en avoir conscience. C’est la raison pour laquelle j’ai beaucoup de mal à entendre écarter les revendications de femmes dans l’Église par un : “pourquoi veulent-elles le pouvoir ?”

 

Dans un certain nombre de sociétés, le fonctionnement de l’Église se trouve en tension sur ces questions avec l’idéal démocratique !

 

Le principe d’organisation hiérarchique de l’Église est d’inspiration monarchique…étant sauve la succession héréditaire ! C’est l’organisation humaine qui est depuis presque l’origine la garante de l’unité, et elle a plutôt fait ses preuves. En tous les cas, nous sommes cela. Cela n’exclut pas en son sein des fonctionnements et des instances plus démocratiques à l’instar des monarchies modernes. Nos frères et sœurs des Églises protestantes ont viscéralement cette culture démocratique, c’est-à-dire synodale, et nous aurions sans doute beaucoup à apprendre d’eux dans ce grand mouvement de synodalité à la mode catholique initié par le Saint Père. La dynamique synodale ne va pas s’arrêter, elle va s’étendre et se répandre à tous les niveaux de l’Église sans pour autant remettre en cause sa structure sacramentelle. Tout retour en arrière apparaitra vite complètement anachronique parce que l’Église est l’affaire de tous les baptisés. Ma conviction profonde est que la responsabilité dans l’Église, dont les questions de pouvoir sont une dénaturation, augmente en même temps qu’elle se partage. Partager la responsabilité c’est l’augmenter et notre Église souffre d’un grand déficit de prise de responsabilité.

 

Que pensez-vous du diaconat féminin ?

 

A titre personnel, je l’appelle de mes vœux ! Il me semble impossible de priver les fidèles, et donc moi aussi, de la réception féminine de la Parole de Dieu. Aucun des arguments avancés ne m’a jamais convaincu. Alors oui, j’aimerais que cette question du diaconat féminin avance ou qu’à tout le moins un pas de plus soit fait dans le sens de l’autorisation des femmes, et plus généralement des laïcs formés, à commenter la parole de Dieu dans le cadre de la célébration dominicale. A la différence du ministère presbytéral, le diaconat féminin trouve des racines dans la tradition de l’Église et je peine à voir les objections qui peuvent lui être opposées, sauf à réserver le chœur, c’est-à-dire l’exercice du sacré, au masculin. Sur cette question des ministères, comme sur celle de la gouvernance, l’horizon se dévoile et s’élargit en marchant. Ce qui semblait impensable hier peut si facilement devenir une évidence demain. Une présence uniquement masculine dans le chœur, les grandes processions d’entrée exclusivement masculines nous semblent aujourd’hui aller de soi. En sera-t-il toujours ainsi ou cela nous apparaitra-t-il un jour trop anachronique ? Le seul fait de se poser la question opère déjà un changement du regard…

 

Le problème ne vient-il pas du fait que l’on considère souvent les vocations féminines non pas en soi, mais par rapport aux vocations masculines ?

 

En effet, la vocation féminine dans l’Église est traditionnellement pensée en terme de complémentarité. Ce n’est plus suffisant, il faut aussi la penser en terme d’altérité. La vocation féminine vaut par elle-même. Cette dimension d’altérité est à présent très présente dans la vie conjugale. Les tâches sont partagées, les deux parents peuvent travailler, s’occuper des enfants… Chacun les accomplit dans sa différence de sexe, de caractère… Ce sont les mêmes tâches effectuées différemment. C’est vrai pour tous les domaines de la société. Comment penser qu’il ne puisse pas y avoir un écho de cette évolution sociétale au sein de l’Église dans la façon dont sont exercés les charismes et les ministères, dans le respect de la tradition qui n’est pas un corps mort mais un corps vivant, à la fois immobile et toujours en mouvement.

 

Cette question de l’altérité renvoie à celle de la fraternité. En effet, la fraternité à la fois requiert et rend possible l’altérité. Ce n’est pas tout à fait le cas de la paternité spirituelle. Je crois à la paternité spirituelle, en tant que frère dominicain en formation j’en ai fait l’expérience. Mais cette paternité spirituelle, je l’ai reçue d’un frère, d’un alter-ego autrement plus avancé que moi dans la vie religieuse, et aussi dans la sainteté. S’il n’était pas décédé avant, j’aurais pu être son prieur provincial. J’ai du mal avec la paternité spirituelle institutionnalisée telle que nous la vivons dans l’Église. Les rôles ne s’inversent jamais à l’instar de la paternité dans la vraie vie où les relations ne cessent d’évoluer entre des parents et des enfants sur l’ensemble d’une vie. Un jour, les enfants prennent soin des parents. Il en va différemment du patriarche qui conserve son autorité jusqu’à la mort. Et dans ce sens, la paternité spirituelle institutionnalisée me semble davantage un modèle patriarcal que paternel. La fraternité, comme dans une vraie fratrie, rend possible toutes les formes de relations. Une grande sœur pourra avoir un temps un rôle maternel vis-à-vis de son petit frère. Il en restera toujours quelque chose, mais chacun vivra l’altérité fondamentale qu’ils ont reçue du fait d’être l’une et l’autre enfants de mêmes parents. La vie se chargera de faire évoluer leur lien, et peut-être un moment de l’inverser.

 

Je crois profondément que notre Église a davantage à se penser comme une communauté de frères et de sœurs. C’est le témoignage le plus haut qu’elle puisse donner au monde. Davantage qu’une lutte de pouvoir, le rééquilibrage nécessaire entre clercs et laïcs, entre hommes et femmes est un enjeu d’altérité et de fraternité. Si j’aime être appelé frère plutôt que père ou monseigneur, ce n’est pas par fausse modestie ou coquetterie, c’est précisément en raison de cet enjeu d’altérité qui ne relève pas d’un choix mais d’une évidence : j’ai besoin des frères et des sœurs de mon diocèse, comme j’avais besoin de mes frères dominicains pour être ce que je suis pour eux.

 

Le Dorothy , animé par des chrétiens, ouvert à tous, fraternel

Entretien avec Constance Gros, membre de l’équipe d’animation du café-atelier associatif Le
Dorothy
Propos recueillis par Dominique Quinio

Vous êtes engagée dans le café Dorothy.
Racontez-nous…
Le Dorothy, le café-atelier Le Dorothy, comme on
l’appelle, s’est ouvert à Paris en 2017. Nous avons voulu
créer un café-atelier associatif animé par des
chrétiens, ouvert à tous, dans un esprit fraternel. C’est
un lieu d’accueil où on vient pour différentes raisons,
pour rencontrer des gens, pour se poser un moment ;
c’est aussi un lieu d’activités, parce que nous
proposons des ateliers pour se former à des activités
manuelles utiles pour la vie quotidienne (électricité,
plomberie, menuiserie…), pour reprendre confiance
dans sa capacité à faire.
Nous avons toujours, aussi, des chantiers participatifs pour rendre le lieu plus accueillant. Nous offrons une programmation intellectuelle avec des conférences. Et puis, il y a des activités sociales et solidaires en lien avec des associations spécialisées du quartier. Sans compter les temps de fête, les propositions artistiques. Avec ce foisonnement, nous voulons mettre à l’honneur les différentes facettes de l’homme : nos mains, notre tête, notre cœur.
Mais le Dorothy, c’est aussi un lieu de quartier ; nous avons eu la chance de pouvoir nous installer à Ménilmontant, dans le 20ème arrondissement, où se côtoient des publics très différents ; nous sommes un lieu de convivialité, un lieu pour les personnes isolées, parce qu’en ville, il y a non seulement de la précarité mais aussi de l’isolement. L’anonymat dans une grande ville comme Paris peut être très lourd ; ces personnes retrouvent chez nous une forme de chaleur humaine, une communauté dans laquelle chacun est bienvenu.
Qui sont les animateurs de ce projet ?
En fait, il y a plusieurs types d’engagements : une quinzaine de personnes sont au conseil d’administration de l’association pour discuter des questions d’organisation et les réflexions stratégiques. Et une cinquantaine de bénévoles sont engagés dans l’animation du café ou encore les activités solidaires, par exemple le soutien scolaire, les conseils aux sans-papier. Il y a aussi une quinzaine d’artistes résidents : peintres, céramistes, stylistes, restauratrice d’œuvres d’art. Ils travaillent là, exposent leurs œuvres, proposent des ateliers. Sans en être membres, ils sont également acteurs de ce lieu.
Comment, sur le plan matériel, vit un tel lieu ?
Le local appartient à la paroisse, Notre Dame de la Croix de Ménilmontant ; c’est un terrain qui a une belle histoire d’engagement social : un grand terrain de foot qui est devenu barre HLM et centre social ; quand le centre social a quitté les lieux, la paroisse nous a loué les locaux pour un loyer faible que nous augmentons un peu chaque année pour contribuer aux ressources de la paroisse. Nous avons deux autres ressources : la sous-location d’ateliers aux artistes présents et des soirées dansantes, le mercredi soir; nous faisons payer cette activité. Par ailleurs, il y a des dons, les recettes du café et des ateliers, même si nous tenons à proposer le maximum de nos activités à prix libre. Nous avons un seul salarié.
Un lieu animé par des chrétiens, avez-vous dit : qu’est ce que cela signifie ?
Notre projet est porté par une équipe de jeunes, catholiques surtout, qui ont à cœur de mettre leur foi en pratique,
dans un projet concret qui n’a rien de révolutionnaire dans son fonctionnement mais qui répond à beaucoup des besoins repérés autour de nous. On s’est inspiré largement du café Simone à Lyon qui s’est ouvert deux ans avant nous. Nous voulons témoigner en tant que chrétiens, mais aussi soutenir la quête de spiritualité des personnes qu’on rencontre ; c’est pourquoi on propose des conférences dont les thèmes peuvent être en lien avec le religieux et le spirituel, qui font de la place au religieux ; on a aussi une vie de prière d’équipe. On vient de lancer un groupe de partage biblique ouvert à tous, croyants ou non
Quel est le profil des personnes qui fréquentent le Dorothy ?
Elles sont à l’image de nos activités. Pour le café, ce sont des gens qui ont soif de rencontres ou besoin d’un lieu de répit et de soutien ; pour les conférences, cela dépend du thème. Pour les ateliers manuels, on retrouve des Parisiens parfois plus aisés qui veulent apprendre à bricoler ; et les déjeuners du dimanche permettent de mélanger tout le monde. Nous ne sommes pas, en tout cas, un lieu catho pour les cathos. !
Et sur le plan religieux, qui sont-elles ?
Au début, nous avons constaté beaucoup de curiosité pour le lieu. Au fil du temps, des personnes ont trouvé ici un entre-deux entre le parvis et chez eux ; les chrétiens qui viennent au Dorothy ne sont pas nécessairement pratiquants mais; pour eux, le Dorothy est un lieu intermédiaire ; un lieu-tampon. Pour des gens qui sont en chemin ou qui n’ont pas encore trouvé leur place dans l’Église mais n’ont pas envie de couper les ponts. On a la chance d’être en lien avec une paroisse dynamique ; on essaie de se compléter : ainsi, le groupe biblique pourrait être complémentaire aux propositions de la paroisse. Le diner de Noël cette année a été mixé Dorothy/paroisse. Et puis, nous accueillons également des personnes plus intellectuelles ou engagées sur différentes causes et attirées par la dimension alternative du projet.
Alternative, pour ne pas dire « de gauche » ? Certains, à l’extérieur, vous qualifient ainsi.
Alternative, car il me semble que la proposition du Dorothy vient, c’est vrai, compléter ou diversifier les propositions existantes aujourd’hui dans l’Église. Nous avons choisi de nommer notre lieu Le Dorothy en référence à Dorothy Day, journaliste et activiste catholique américaine dont les engagements pour la justice sociale, la paix et le témoignage chrétien vivant sont des sources d’inspiration qui infusent de manière diverse dans notre projet et nos activités. Le Dorothy est avant tout un lieu de vie, d’action et de fraternité vécue avec des personnes de nombreux horizons, et c’est d’abord dans cet enracinement que nous situons notre projet. Nous avons à cœur que nos idées et engagements prennent leur source dans ce que nous vivons collectivement dans le lieu, c’est pourquoi nous ne nous définissons pas comme lieu militant avec une ligne de pensée, mais comme une communauté fraternelle, accueillante et au service du bien commun, même dans les toutes petites choses du quotidien, à l’image de cette citation de Dorothy Day affichée au-dessus de notre évier « Tout le monde veut faire la révolution, mais personne ne veut faire la vaisselle ».
Pour l’équipe d’animation, le Dorothy représente un fort engagement.
Effectivement. Il faut des gens qui ont un peu de temps ou de la flexibilité dans la gestion de leur temps, ou qui
habitent le quartier. Nous sommes particulièrement attentifs à l’équilibre personnel, associatif, professionnel. Nous avons une vie d’équipe, une vie communautaire, une vie spirituelle partagée. Nous faisons deux retraites par an. Nous sommes beaucoup sollicités par des personnes qui ont le désir de créer un de ces lieux, convaincus de leur nécessité. Mais ce n’est pas facile d’aller au bout de la démarche; c’est exigeant. Au Dorothy, nous avons eu la chance de connaître un alignement des planètes : une dynamique, un lieu et une équipe.
Consulter le site Internet du Dorothy : https://www.ledorothy.fr
Se rendre au Dorothy : 85 bis rue de Ménilmontant, Paris 20e

Quel avenir pour le christianisme ?

François Euvé

Quel avenir pour le christianisme ?

Salvator, 2023, 206 pages, 20 €.

recenion parue dans Études

Dans cet ouvrage, François Euvé rassemble, dans l’expression catholique contemporaine, ce qui contribue au « discernement commun ». « Esquisse de réflexions », précise-t-il, appuyées sur les pensées pionnières de Michel de Certeau, Jean-Marc Ferry, Danièle Hervieu-Léger, Anne-Marie Pelletier ou encore Christoph Theobald. Après un diagnostic des points sensibles du temps auxquelles peuvent contribuer les « lumières » du christianisme et de sa tradition, est faite une relecture de l’histoire de l’Église dans laquelle le concile Vatican II marque un changement d’esprit décisif : l’Église se fait « conversation » et entre en dialogue avec le monde, permettant que se reconstruise, dans un monde sécularisé, une éthique chrétienne relationnelle où l’autonomie subjective est reconnue. Sans aborder « directement la question de la réforme de l’Église », l’auteur pointe cependant la question majeure de la hiérarchie des sacerdoces. Il rappelle qu’« à partir d’une situation [aux origines du christianisme] où prédominait le registre égalitaire de la fraternité » s’est élaborée une distinction entre clercs et laïcs. Vatican II ressaisit cette distinction et, à côté du « sacerdoce commun » des fidèles, singularise « le sacerdoce ministériel ou hiérarchique ». La réintégration du second dans le premier, avec les transformations profondes qu’elle induirait, n’est-elle pas une hypothèse à considérer ? On peut penser que « l’avenir du christianisme » exige prioritairement une réforme ecclésiale, car comment le monde et la société pourraient-ils compter sur l’Église si celle-ci n’offre pas l’exemple d’une communauté croyante qui « parle » à tous et qui se soucie de parer à ses criminelles déviances ? Pourtant, à considérer le moment présent, n’est-il pas à redouter que ce christianisme d’ouverture, si clairement brossé par François Euvé, soit déjà menacé par des courants contraires ?

Gildas Labey

 

 

Un nouveau Concile qui ne dit pas son nom ?

 

Un nouveau Concile qui ne dit pas son nom ? Le synode sur la synodalité, voie de pacification et de créativité.

Christoph Theobald sj

Editions Salvator, 2023

 

En fin connaisseur du Concile Vatican II, Christoph Theobald situe l’actuel synode sur la synodalité dans une perspective historique. Il montre à la fois comment celui-ci s’ancre dans les grands textes du Concile mais aussi comment le pape François déplace l’accent vers l’égale dignité de tous les baptisés pour en faire son axe d’interprétation du Concile. Ce dernier a bien réaffirmé l’égalité de tous les humains devant Dieu et l’égalité baptismale des fidèles, mais sans en tirer toutes les conséquences. Aussi l’égalité de principe reste souvent à distance de la fraternité effective. C’est ce chemin que le synode cherche à faire parcourir à toute l’Eglise. En analysant le processus engagé, l’auteur met en lumière tant l’envergure de la démarche que ses limites et sa fragilité. Le cœur de la synodalité est constitué par un apprentissage de l’écoute. L’écoute personnelle de la Parole de Dieu, l’écoute des autres, l’écoute collective de ce que l’Esprit Saint dit aux Eglises. Cette écoute « stéréophonique » devrait permettre d’apaiser les tensions et conflits et mieux discerner les charismes particuliers pour libérer la créativité dont l’Eglise a besoin. Un processus qui repose sur des dispositions spirituelles qui relèvent de la liberté et de la maturité des chrétiens et de leurs communautés et qui ne s’impose donc pas. Mais l’adoption de la méthode synodale à tous les niveaux implique aussi une transformation des structures de l’Eglise. La synodalité comme dimension constitutive de l’Eglise forme le cadre d’une nouvelle interprétation du ministère hiérarchique, qui se heurte à des résistances et une incompréhension devant l’ampleur de la transformation en cours. Le défi de l’Egise ne consiste pas à mettre fin à quelques dysfonctionnements internes. Le changement d’époque invite à un renouvellement de la figure de l’Eglise pour annoncer l’Evangile au IIIe millénaire. C’est parce qu’il porte sur la forme même de l’Eglise, que ce synode prend les allures d’un Concile qui ne dirait pas son nom.

Monique Baujard

 

 

 

Chaque système de pouvoir peut être un système d’abus, entretien avec Jean-Marc Sauvé

Un entretien avec Jean-Marc SAUVÉ, ancien président de la Ciase et président de la FondationApprentis d’Auteuil
Propos recueillis par Dominique Quinio

Notre collectif, Promesses d’Église – vous le savez puisque les Apprentis d’Auteuil en sont membres – est né à la suite de la Lettre du Pape au Peuple de Dieu, en aout 2018, qui invitait chacun à agir pour une transformation ecclésiale rendue nécessaire par la grave crise des abus.

On note une grande synchronisation entre le lancement de Promesses d’Église et l’initiative de la Conférence des évêques de France de créer une commission indépendante sur les abus sexuels commis dans l’Église (CIASE). Nous sommes exactement dans la même temporalité, en novembre 2018. Tout s’enracine dans la Lettre au Peuple de Dieu, que nous avons d’ailleurs citée dans la préface de notre rapport. Au fond, quand la Ciase remet son rapport trois ans après, en 2021, elle ne peut rien dire d’autre que ce que le pape a écrit et mis en lumière : le risque que l’Église puisse abuser de l’autorité qu’elle représente et le lien très étroit entre les abus d’autorité, les abus spirituels et les abus sexuels. Le pape a mis le projecteur sur le risque de dévoiement de l’autorité de l’Église et de dévoiement de l’accompagnement spirituel. Si je résume notre rapport, je ne peux pas dire autre chose et je ne peux pas dire mieux.

Comment jugez-vous ce qui s’est passé depuis la remise de votre rapport ? Ce qui a bougé, ce qui reste à faire ?

Nous avons remis le rapport le 5 octobre 2021. Nous avons été impressionnés par la rapidité et la clarté des conclusions tirées par la Conférence des évêques lors de l’Assemblée plénière de novembre à Lourdes : d’abord parla démarche de repentance, devant la basilique, et par les termes choisis. Les évêques n’ont pas fait dans la logorrhée, ils ont reconnu ce qui s’est passé, de façon claire et ferme, à la hauteur de ce qu’on attendait. Ils ont aussi pris des décisions fortes et courageuses en ce qui concerne la reconnaissance et la réparation des crimes commis. La Conférence des religieux, la Corref, a pris des décisions analogues. Nous savions que celles-ci se préparaient, alors que du côté des évêques, nous ne savions pas ce qui allait sortir de l‘assemblée. Il s’est passé quelque chose pendant cette Assemblée et je crois qu’il y a eu aussi le fort engagement du président, Mgr de Moulins Beaufort.
Les membres de la Ciase ont été impressionnés par la reconnaissance de la responsabilité institutionnelle dans la crise des abus et par la demande de pardon. Et, en conclusion, ils apprenaient qu’était créée une instance nationale de reconnaissance et de réparation et qu’elle serait présidée par Marie Derain de Vaucresson. Un travail très important a donc été mené dans le délai d’un mois ! Contrairement à ce qu’ont pu écrire certains – nous aurions piégé les évêques -, nous avions pris soin, en comprenant que les chiffres seraient terribles, d’avertir la CEF et laCORREF de l’ampleur de la catastrophe, bien en amont de la présentation de notre rapport. Plus tard, nous avons présenté oralement la synthèse du rapport et envoyé sa version définitive, quelques jours avant sa publication. Le dimanche précédent, d’ailleurs, une intention de prière lue pendant les messes préfigurait le choc que les catholiques allaient éprouver. Non, nous n’avons pas pris les évêques « par surprise ».

Puis il y a eu la création de neuf groupes de travail…

On aurait pu penser que notre travail suffisait, mais nous avons compris que nous n’avions pas tout abordé et que la parole de notre commission, composée de personnes de différents horizons, ne pouvait être considérée comme une évidence et méritait relecture et approfondissements. Il était normal que des groupes composés de laïcs,d’évêques, de clercs choisis par l’Église reprennent la main sur nos propositions et répondent aux mandats de la CEF. Moi-même et plusieurs collègues de la CIASE avons été entendus par plusieurs groupes de travail. Les rapports de ces groupes ont été remis en février 2023. Nous avons été impressionnés par leur qualité, et l’on peut regretter qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une plus grande médiatisation. Dès lors, l’assemblée des évêques de mars s’est ouverte avec beaucoup d’attentes : on espérait que les conclusions de ces groupes seraient prises en compte.Mais quand les votes ont eu lieu, nous avons eu la surprise – et la déception – de voir que très peu d’entre elles étaient retenues et de constater que, sur différents points, les évêques avaient collectivement décidé qu’il appartenait à chacun d’entre eux, dans son diocèse, de décider de la suite à donner au plus grand nombre de ces recommandations. Par exemple, il avait été proposé que dans les conseils de gouvernance des diocèses, il y ait un tiers de laïcs ; il a été finalement retenu que « des » laïcs devaient y participer ! Il y avait eu de grands espoirs ; il s’est alors dégagé un sentiment de grande déception.
Bien sûr, il y a des sujets qui ne relèvent pas directement de la compétence de la conférence des évêques, mais du Saint-Siège, comme le droit canonique ; mais des propositions auraient pu être transmises à Rome : pour que, par exemple, les victimes d’abus soient associées aux procédures : il est inconcevable qu’elles n’aient pas accès au dossier et n’aient pas connaissance de la décision finale et, le cas échéant, de la sanction (que ce soit un pèlerinage ou le renvoi de l’état clérical !) ou qu’elles l’apprennent par la bande. De même devrait être élaborée, en matière d’abus, une véritable échelle des sanctions.

Comment expliquez-vous qu’on soit passé d’une première mobilisation intense à une forme de frilosité ?

Je pense qu’ après le choc du rapport, le temps passant, le soufflé du scandale et de l’émotion retombant, il est apparu qu’il était plus facile de traiter le passé, de reconnaître et de réparer les situations individuelles, que d’aller au terme d’une réflexion en profondeur et d’en tirer des conséquences sur la gouvernance de l’Église catholique, sur la formulation de sa morale sexuelle ou sur la lutte contre les dévoiements du sacerdoce, de l’accompagnement spirituel, des Écritures aussi. Combien de fois, en effet, les Écritures ont été directement invoquées (à tort bien sûr)pour justifier un plan de domination personnelle, pouvant déboucher sur des actes à caractère sexuel !
On va me dire que l’essentiel des abus ont été commis dans les années 50 et 60, les premières années de notre étude (où l’on compte plus de la moitié des abus recensés) et que ces sujets sont derrière nous depuis la fermeture des pensionnats et des petits séminaires. Il faut pourtant être clair : nous avons aussi recueilli des témoignages remontant à la décennie 2010-2020, en moins grand nombre certes, portant moins sur des enfants, mais des témoignages d’abus à l’égard d’adolescents, de jeunes majeurs, de femmes et de personnes en discernement ; c’est là que j’ai pris conscience que les personnes en recherche sur leur choix de vie, leurs orientations, peuvent être plus aisément abusées. Le dossier des abus ne peut donc être regardé comme clos.

Après vos travaux concernant l’Église, d’autres enquêtes ont été menées, concernant notamment l’inceste,montrant là encore la gravité des faits.

Le rapport de la Ciivise (commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants) valide nos chiffres et confirme que l’Église n’a pas le monopole de ces crimes. Chaque famille est un système de pouvoir et chaque système de pouvoir peut être un système d’abus. Cela vaut aussi pour les milieux du sport, de la culture, de l’enseignement scolaire, de la protection de l’enfance, partout où il y a des figures d’autorité. D’ailleurs dans notre rapport, nous avons bien pris soin de distinguer le problème général des abus d’autorité et les problèmes spécifiques à l’Église catholique.

Dans cette spécificité, n’y a-t-il pas le caractère sacré de la figure du prêtre ?

La sacralisation de la figure du prêtre (érigé en « Alter Christus » ou « Ipse Christus ») s’est en effet révélée mortifère, sans que je remette en cause le moins du monde la conception catholique de l’Eucharistie à laquelle je suis très attaché. Cette sacralisation explique aussi l’aveuglement de certaines familles qui n’ont pas pu entendre leurs enfants remettre en cause l’autorité d’un clerc. La confiance aveugle dans le prêtre a favorisé l’emprise et la domination.

Est-ce que le synode sur la synodalité engagé par François peut être une occasion de revisiter un système qui a montré ses failles ?

Je le crois et je l’espère. Je pense que la démarche synodale peut aider à surmonter ce qui, dans le fonctionnement de l’Église, représente un terreau favorable aux abus ou à leur couverture. Dans son fonctionnement actuel, l’Église ne sait pas assez assumer le débat collégial ou le débat contradictoire.
En même temps, ce synode a suscité des peurs et d’énormes contestations. Après un pilonnage indécent contre l’Instrumentum Laboris de la part des milieux conservateurs, la conclusion de la première session de Rome les a rassurés ; nous avons entendu un bruyant soupir de soulagement. On sent bien qu’une course de vitesse est engagée autour du pape, de sa santé, et d’une possible démission. Chaque jour qui passe nous rapproche du terme de son pontificat, ce qui est source d’inquiétude pour les uns et d’espoir non dissimulé pour les autres.

Revenons à Promesses d’Église. Quel peut être son rôle et son avenir ?

Je trouve vraiment très utile et positif de rassembler des mouvements aux charismes et aux sensibilités variés qui s’intéressent aux défis de l’Église, qui échangent et débattent entre eux et portent l’ensemble de leurs questions et recommandations aux évêques, ceux-ci ayant bien compris qu’ils n’avaient pas en face d’eux une sorte de comité central de laïcs qui forceraient leur porte et voudraient se substituer à eux. Cela peut favoriser la circulation des idées et conduire à décrisper certains débats. La démarche peut paraître lente, voire limitée, mais c’est bien mieux de procéder ainsi que de s’installer dans une logique d’ignorance réciproque ou de confrontation stérile.

Le Christ rouge

 

Guillaume Dezaunay

Le Christ rouge

La révolution de l’Évangile. Salvator, « Forum », 2023, 170 pages, 17,90 €.

 

Recension parue dans Études

C’est un bel essai, à la fois original et ambitieux, que propose Guillaume Dezaunay, puisqu’il essaye de lire les textes évangéliques en se demandant comment les comprendre en un sens politique. Le thème principal de l’ouvrage est en fait l’analyse de la figure du « bon intendant », figure récurrente dans les textes évangéliques et qui résume efficacement celui que le chrétien est appelé à être dans le monde. L’auteur cherche à définir ce que peut signifier cette formule dans nos vies ordinaires – notamment dans notre rapport à la propriété, à la consommation, à la nature, au travail ou à la justice. En passant d’une réflexion sur le sens de l’expression « règne de Dieu » à une autre, par exemple sur le marché ou sur la doctrine sociale de l’Église, Dezaunay propose une analyse de ce à quoi devrait correspondre une vie qui prendrait au sérieux le message évangélique dans toutes les dimensions d’une existence humaine. Il ne s’agit pas de montrer qu’une mise en cohérence est impossible ou utopique, mais plutôt que l’Évangile est un stimulant moyen de mettre en question nos habitudes. On trouve parfois quelques affirmations un peu péremptoires ou quelques passages rapides qu’on aurait aimé voir davantage creusés (comme sur la mondialisation), mais le résultat est heureux et efficace, très accessible pour tout lecteur curieux de penser la cohérence entre des principes chrétiens et une vie réelle.

Louis Lourme